CHAPITRES OUBLIES DE L’HISTOIRE DE LA FRANCE
Placée sous le haut patronage de Monsieur Jean-Pierre BEL,
Président du Sénat, cette rencontre a été organisée par la Délégation sénatoriale à l’outre-mer
et le Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes.
Françoise VERGÈS, chargée de mission au Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes et chercheur associé au Collège d'études mondiales, a invité de nombreux intervenants parmi lesquels l'écrivain RAHARIMANANA, auteur avec le photographe Pierrot MEN de l'exposition Portraits d'insurgés portée et réalisée par Zérane S.GIRARDEAU.Extraits de l'intervention de RAHARIMANANA :
"D'où vient l'ignorance, voire l'indifférence, quel est cet étrange silence d'un événement qui porte pourtant le nom de tabataba, cris, clameurs, éclats de voix, désordres, scandales, émeutes, troubles, rumeurs… ?
Certes, la plupart des conflits de la colonisation ou de la
décolonisation sont l’objet d’un « trou de mémoire », mais cela
semble particulièrement vrai pour l’insurrection malgache, au point que des
historiens aient pu en parler comme d’une « tragédie oubliée ».
Tragédie oubliée, car 1947 ne représente-t-elle pas une
honte pour une nation qui vient de vaincre le nazisme et qui deux ans après
commet un massacre sans nom, un massacre auprès des hommes qui l'ont aidé à
remporter la guerre (faut-il rappeler que Madagascar a fourni près de 40 000
soldats à l'armée française, soit 15% des tirailleurs ?).
Tragédie oubliée, car
n'a-t-on pas incité l'armée d'occupation à "expédier" cette affaire
pour s'occuper d'un autre front plus important, l'Indochine, usant de ce fait
de procédés expéditives qui s'avèreront être de véritables crimes de guerre.
Tragédie oubliée, car
bientôt aura lieu le drame de l'Algérie.
(…)
Pour ma génération,
née après l'indépendance, ayant grandi dans l'ignorance de son histoire et face
aux troubles de son présent composé de multiples coups d'état et d'émeutes
incessantes (de 1972 à aujourd'hui, pratiquement des violences à chaque
élection présidentielles), 1947 forme un écho bien proche, comment ne pas
reprendre mémoire ?
Trouver réponse
à tant de déni. Eviter le temps des polémiques qui n’est finalement qu’une
autre parole trouble.
(…)
(…)
Et je me
remémore les paroles des témoins que j’ai rencontrés. Paroles souvent de
pardon, voilà ce qui était arrivé, ce n’était pas tous les français, c’était
quelques français, de Félix Robson, un vieil homme au regard incroyablement
apaisé, portant une vieille veste mille fois repassée, une grande taille à
peine courbée, une précaution dans la prise de parole, la lucidité de l’homme
qu’on n’a jamais écouté mais qui prend le temps de tout reprendre, de l’émotion
à calmer pour ne pas effaroucher l’oreille qui se tend, à la voix qui tremble
encore, toujours à l’évocation de l’intolérable survenu.
(…)
Tous ont voulu
vérifier si l'oreille qui vient les écouter appartient à la haine, tous ont
exigé qu'on les écoute sans faire de leurs récits un instrument de haine. Qu'au
fond d'eux-mêmes, ils ont réfléchi à la notion de pardon, qu'ils ont pardonné,
non pas à leurs bourreaux, car ceux-ci n'ont jamais entrepris cette démarche de
demander pardon, mais aux enfants de leurs bourreaux, car la faute du père
n'incombe pas au fils, mais le fils doit savoir, pour ne pas revivre dans la
culpabilité inconsciente du père. Ainsi, ils regrettent qu'entre la France et
Madagascar, il n'y ait jamais eu de réel partage de mémoire.
Tous ont voulu
qu'on les rassure, que l'oreille qui écoute, devienne bouche qui transmet leurs
récits, que leurs témoignages traversent les générations, pour que nul autre
humain ne revive ce qu'ils ont vécu.
(…)
Dire n'est pas
accuser. Dire, c'est se retrouver sur le même espace d'entendement, et partager
la parole, car c'est ce que m'ont appris tous ces vieux hommes et femmes
extraordinaires : la victime a à éduquer celui qui l'a avili, la victime a à
éclaircir la tourmente des jours…"