10/12/2013

Rencontre "Mémoires croisées" au Sénat le 14 novembre 2013


CHAPITRES OUBLIES DE L’HISTOIRE DE LA FRANCE

Placée sous le haut patronage de Monsieur Jean-Pierre BEL, Président du Sénat, cette rencontre a été organisée par la Délégation sénatoriale à l’outre-mer et le Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes.
Françoise VERGÈS, chargée de mission au Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes et chercheur associé au Collège d'études mondiales, a invité de nombreux intervenants parmi lesquels l'écrivain RAHARIMANANA, auteur avec le photographe Pierrot MEN de l'exposition Portraits d'insurgés portée et réalisée par Zérane S.GIRARDEAU.

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=11851

 
Extraits de l'intervention de RAHARIMANANA :

"D'où vient l'ignorance, voire l'indifférence, quel est cet étrange silence d'un événement qui porte pourtant le nom de tabataba, cris, clameurs, éclats de voix, désordres, scandales, émeutes, troubles, rumeurs… ?
Certes, la plupart des conflits de la colonisation ou de la décolonisation sont l’objet d’un « trou de mémoire », mais cela semble particulièrement vrai pour l’insurrection malgache, au point que des historiens aient pu en parler  comme d’une « tragédie oubliée ».
Tragédie oubliée, car 1947 ne représente-t-elle pas une honte pour une nation qui vient de vaincre le nazisme et qui deux ans après commet un massacre sans nom, un massacre auprès des hommes qui l'ont aidé à remporter la guerre (faut-il rappeler que Madagascar a fourni près de 40 000 soldats à l'armée française, soit 15% des tirailleurs ?).
Tragédie oubliée, car n'a-t-on pas incité l'armée d'occupation à "expédier" cette affaire pour s'occuper d'un autre front plus important, l'Indochine, usant de ce fait de procédés expéditives qui s'avèreront être de véritables crimes de guerre. 

Tragédie oubliée, car bientôt aura lieu le drame de l'Algérie.
(…)
Pour ma génération, née après l'indépendance, ayant grandi dans l'ignorance de son histoire et face aux troubles de son présent composé de multiples coups d'état et d'émeutes incessantes (de 1972 à aujourd'hui, pratiquement des violences à chaque élection présidentielles), 1947 forme un écho bien proche, comment ne pas reprendre mémoire ?  

Trouver réponse à tant de déni. Eviter le temps des polémiques qui n’est finalement qu’une autre parole trouble.
(…)
Et je me remémore les paroles des témoins que j’ai rencontrés. Paroles souvent de pardon, voilà ce qui était arrivé, ce n’était pas tous les français, c’était quelques français, de Félix Robson, un vieil homme au regard incroyablement apaisé, portant une vieille veste mille fois repassée, une grande taille à peine courbée, une précaution dans la prise de parole, la lucidité de l’homme qu’on n’a jamais écouté mais qui prend le temps de tout reprendre, de l’émotion à calmer pour ne pas effaroucher l’oreille qui se tend, à la voix qui tremble encore, toujours à l’évocation de l’intolérable survenu. 
(…)
Tous ont voulu vérifier si l'oreille qui vient les écouter appartient à la haine, tous ont exigé qu'on les écoute sans faire de leurs récits un instrument de haine. Qu'au fond d'eux-mêmes, ils ont réfléchi à la notion de pardon, qu'ils ont pardonné, non pas à leurs bourreaux, car ceux-ci n'ont jamais entrepris cette démarche de demander pardon, mais aux enfants de leurs bourreaux, car la faute du père n'incombe pas au fils, mais le fils doit savoir, pour ne pas revivre dans la culpabilité inconsciente du père. Ainsi, ils regrettent qu'entre la France et Madagascar, il n'y ait jamais eu de réel partage de mémoire. 

Tous ont voulu qu'on les rassure, que l'oreille qui écoute, devienne bouche qui transmet leurs récits, que leurs témoignages traversent les générations, pour que nul autre humain ne revive ce qu'ils ont vécu. 
(…) 

Dire n'est pas accuser. Dire, c'est se retrouver sur le même espace d'entendement, et partager la parole, car c'est ce que m'ont appris tous ces vieux hommes et femmes extraordinaires : la victime a à éduquer celui qui l'a avili, la victime a à éclaircir la tourmente des jours…"